Le Temps d'un Lien (titre trouvé par Nargadjevo)

Elle s’assit sur le rebord, ramenant sa queue touffue autour de sa taille. Elle posa ses deux grands yeux verts vers le village en contrebas, sa truffe humide et ses oreilles suivant le mouvement. Le village en toile d’araignée, cerclée par les champs, les falaises et la mer… Il avait un certains charmes, elle ne pouvait le nier. Mais un charme qu’elle se lassait de regarder à tout les lever de soleil… Et puis, comment pouvait-elle profiter de quelque chose qu’elle savait ne durer qu’un temps?
Bientôt, ils se serviraient du Lien pour l'appeler. Le Lien… C’était quelque chose qui les liait tous les vivants entre eux, peu importait la nature de ces derniers. La distance en diminuait la force, c’était comme pour l’ouïe ou la vue, avec une portée plus grande. Beaucoup trop grande, songea la créature en posant son court museau sur une main griffue, appuyant son dos et sa tête au pelage roux parsemé de beige sur la paroi rocheuse.

La créature ne comprenait pas une chose : pourquoi donc son père ne reconnaissait-il pas sa soif d’exploration? Certes, il lui avait toujours dit qu’il ne survivrait pas s’il n’avait pas la raison qui l’avait poussé à quitter son royaume, les cimes des arbres… La seule chose un brin risqué qu’il lui soit réellement permis de faire, c’était de dresser les bêtes. Franchement, même pour ça, il avait fallu l’assistance de tout le village! Elle avait de la chance, d’ailleurs, d’avoir l’opportunité de s’éloigner de son paternel…
Un jour, un jour, elle trouvera le moyen et le courage de quitter son village se promit-elle en soupirant. Isaëlle. résonna dans son esprit au même moment. La dénommée Isaëlle ne put que répondre à l’appel… Se retournant, sa tenue de cuir frottant contre la falaise, elle commença sa descente.

Dans son esprit, le sort qui l’attendait se jouait déjà : son père allait, encore une fois, lui faire remarquer à quel point elle se montrait imprudente. Ses cornes la démangèrent déjà de frustration. Ils étaient une espèce faite pour grimper à la cîme des arbres, vivre en altitude. L’escalade était dans ses gênes, les hauteurs l'appelaient autant que l’aventure! Il pouvait au moins comprendre ça, non?!

S’il possédait un corps physique, il en aurait probablement levé la tête. Mais son existence n’était que pensée, le corps qu’il avait n’était que l’image qu’il s’en faisait… L’esprit émit un soupir mental. Il n’avait même pas de nom. Il n’existait certes personne comme lui mais… Un nom, peut-être que ça lui donnerait l’illusion d’être moins seul? Comme s’il pouvait être moins seul, de toutes façons. A, que Freedom lui manquait! Elle, elle lui aurait parlé comme s’il était une créature physique!
Mais aujourd’hui, il n’allait peut-être plus être seul. Oh, il ne se faisait pas d’illusion : probablement que son futur camarade disparaîtrait avant même de naître. Mais n’avait-il pas le droit d’espérer?

Sans plus faire attention au nouveau-né mourant, l’être sans apparence se laissa porter par ses pensées. Il y avait bien un moment… Dans le passé, l’un des êtres physiques composants ce monde lui avait réellement donné l’occasion d’exister. Les souvenirs prirent alors le pas sur la réalité…

-Freedom?  fit une voix, contemplant alors la douce personne lui faisant face, sa large crête bleue au liseré doré, son délicat pelage gris, son magnifique petit museau… Ces deux magnifiques yeux bleu marine et cette cicatrice ne la rendant que plus belle. Que ferait-il si elle n’était pas là?
-Oh, vieux, tu m’appelles et tu ne m’écoutes pas! dit elle dans un magnifique rire cristallin, se rapprochant du Né-de-l’Esprit, tel que venait d’être nommé son espèce. Si son interlocuteur avait eu un nom… Elle l’aurait gentillement pousser.
-Oh, désolé, boss!  répondit il en rigolant. C’est quoi le plan, Ô grande gladiatrice? Heureusement qu’il n’avait pas de bouche pour sortir un sourire charmeur. Enfin, peut-être que ça l’aurait fait craquer?
-Je ne suis pas ton boss. Je ne suis celui de personne. Je suis… Juste quelqu'un comme n’importe qui ici.  Et je n’ai été qu’une simple gladiatrice, je n’ai aucun exploit à raconter… Il n’y a rien dont je souhaite me souvenir de cette époque. Mais temps que notre lutte n’aura pas été menée à son terme…

Sa présence clignota tandis qu’il revenait dans le présent… Et qu’il était passé de la forêt à la mer. Son cœur imaginaire se serra : le rêve de Freedom ne s’était jamais réalisé. L’esclavage existait toujours…
Un moment, il crut sentir sa tendre… C’était juste quelqu’un que le destin avait juste décidé de joindre à lui… Attendez, quoi? L’impatience chassa la tristesse, pas très loin, mais il allait enfin rencontré quelqu’un d’autre. Aussitôt, il se téléporta et se manifesta au marin, qui se retourna sans hésiter vers lui.

Les trois longs doigts de sa main palmée se posa sur la rambarde tandis que son corps se penchait en avant, les aigrettes vertes serrées vers l’arrière et la crête de la même couleur tendue. Ses deux yeux gris fixaient l’horizon, tandis que son pelage bleu foncé se dressait d’impatience, sa large queue et sa nageoire caudale le signalant tout autant.
La créature marine cru sentir une présence dans son donc, ce qui le fit se retourner. Le capitaine appelait-il son second… ? Personne ne se trouvait là, il ne s’agissait pas de lui.

-Donc tu sens ma présence sans même que j’aie à me manifester! fit une voix tandis que l’air se troublait. Un Né-de-l’Esprit. Qu’avait-il fait pour mériter ça? Si jamais cette rencontre venait à être connue… Ou pire, s’il s’avérait qu’il avait deviné la présence… Détends toi petit Second! reprit la voix.

Se détendre? Il la laissa fouiller son esprit pour lui montrer ce qui lui faisait si peur : il risquait fort d’être réduit en esclavage si jamais ce qui se passait actuellement… Était connu d’une tierce personne. Franchement, il avait de quoi ne pas se détendre.
Surtout que le vaisseau sur lequel il avait embarqué… Et bien, il reconnaissait haut et fort qu’il suivait les principes laissés par les raids de Freedom et son royaume. Il n’y avait pas que lui qui risquait gros, ici…

-Bon, d’accord… Dans ce cas, il faudra que tu t’en ailles seul… Je te donne rendez-vous… Quand je pourrai te parler sans risque. fit la voix, laissant sa présence entourer le navire.

Génial. Il allait le suivre longtemps… Étrangement, il… Il ravala le sourire qui lui vint aux lèvres. Au moins, avec un être existant entièrement à travers le lien… Peut-être saurait il pourquoi c’était si étrange chez lui.
Mais là, il valait mieux se concentrer sur l’Île aux Cristaux, le marchandage... Et la requête dûe au Né-de-l’Esprit. Pourquoi acceptait-il si facilement?

La mémoire en veille, les larges optiques de l’être mécanique analysait le marché tandis que son large museau analysait la composition de l’air. Il dressa deux semblants d’oreilles pour mieux percevoir les sons, tout comme il tandis les cornes de son front pour mieux sentir la pression.

Calcul en cours… Risque de pluie : 75 %
Calcul du risque de tempête : 99%.
Calcul du risque de naufrage si en mer lors de la tempête… Manque de donnée : état équipage. Impossible à acquérir. Résultat : de 25 à 100% de risque de dégâts ou de pertes
Conclusion : probablement tempête de vent. Navigation déconseillée.
Démarche à effectuer : recherche en cours… Sous-programme danger-00.01… Recherche du protocole… Prévention capitaine. Erreur : aucun capitaine enregistré. Recherche autres protocoles… Erreur : situation équipage inconnue.

L’opération se déroula en quelques instants à peine. Pour autant, lorsqu’elle fut fini, l’erreur s’affichant dans son processeur lui fit étendre ses ailes et remuer vivement la queue. Le dragon claqua de sa mâchoire de métal, agaçant les marchands autour de lui.

-Requiem… Mode off. fit une voix de l’étal où ce trouvait la machine, tandis que le “propriétaire” actuel contemplait celle-ci. Va vraiment falloir que je te vende. Et vite. soupira le marchand.
Et malheureusement… Personne ne voulait d’un robot qui n’avait pas rempli son rôle, même en sachant qu’il ne pouvait pas le réussir.

Chaud… Mal… Ce furent les seuls pensées qui passèrent par la tête de la jeune créature, essayant d’ouvrir ses yeux reptiliens, les refermant immédiatement par après, éblouie par la lumière. C’était… C’était ça, ce fameux Eveil?

Une main passa sur le front de l’être reptilien, humidifiant son pelage neige. Le Soigneur ne pouvait s’empêcher de trouver que son museau était trop court, les pics trop petits après cinq jours, ses pieds et mains trop proche de l’humain plutôt que du lézard… Et surtout, cette si particulière ligne d’écailles naissantes dans son cou. S’il avait eu des doutes pendant l'Éveil, il en était sûr maintenant : c’était un hybride.

-Si tu survis… Il te faudra un nom d’adulte. Et vu que tu seras mon apprenti… C’est à moi de le trouver… Mais il n’était pas prêt pour ça. Pour dire vrai, le Soigneur n’aimait pas les responsabilités… Déjà qu’il prenait mal son métier, en plus il allait devoir s’occuper d’un apprenti!

Les pensées de celui-ci était toujours ralenties, ses perceptions toujours étrange. Il était pourtant persuadé de sentir plus qu’avant. C’était si… Étrange. Comme si des millions d’esprit se cognaient contre son esprit, cherchant à y pénétrer. Invasion. Mal. Ces deux mots traversèrent son esprit tel deux aiguilles se plantant dans un pied.
Pourtant… Pourtant, le mot “nom” résonna dans son esprit. Ses parents… Ils… Ils lui en avaient déjà donné un… Pourquoi le sentait-il si éloigné? Papa. Maman. Les larmes se mirent difficilement à couler. Il voulait son papa et sa maman… Qu’il l’appelle par son nom…

-Et, tout ce passera bien… J’espère. termina en marmonnant le Soigneur, entendant marmonner l’enfant. Pourquoi est-ce qu’on devait les séparer de leurs parents? Certes, de rares cas pouvaient rester avec eux mais… C’était la chose la plus stupide qu’on puisse faire. Olwen. Tout va bien. tenta de rassurer le Soigneur. Il allait lui laisser son nom, finalement.

-Et alors que tout semblait perdu, apparu son frère. Le Dragon et le Dieu se faisait face. Le Reptile regarda  le Maître des Étoiles, cherchant quoi dire pour le rallier à sa cause. Il était certes assoiffé de sang et de pouvoir, mais il ne pouvait se résoudre à combattre sa seule famille… Oh, il savait le sort qui l'attendait : il l'avait déjà vécu. Il endurerait encore ce moment. Son frère de métal mourrait, l'emprisonnerait, avant que tout deux ne naissent à nouveau. Le Faiseurs d'Hécatombe posa une main sur son Sablier, près à retourner dans le passé. Tenté à nouveau de le convaincre… Mais son frère le transperça d'une lance, isolant le Temps qui coulait en ses veines. Ne reste du Monstre que son sang changé en cristal, attendant que son nom soit à nouveau prononcé, le rappelant alors parmi les vivants…

-Conteuse… fit une petite voix tremblotante, presque en pleur, amenant sur elle le regard plein de compassion de la vieillarde. C'est pas plus qu'une histoire, hein ?

-Personne ne sait s'il s'agit juste d'une histoire ou de la vérité, jeune pousse. C'est pourquoi plus personne n'ose prononcer le nom du Monstre… Commença la femme, s'arrêtant en voyant l'expression de son jeune auditoire, un sentiment de culpabilité lui enserrant la poitrine. Elle ne pouvait pas leur infliger ça… Elle ne pouvait pas. Toutefois, comme lorsqu'Il nous guida vers ses terres, Ashir veille sur nous, prêt à brandir sa lance, chargeant le danger sur le Renard Bleu.


-Parle nous du renard ! demanda une autre voix, pleine d'envie.

-Peut-être pour un autre jour… répondit Compteuse en souriant. Elle aimait leurs raconter ces légendes mais… Aujourd'hui était le jour de l’Initiation, pour ceux ayant survécu à l’éveil.  Il lui faudrait raconter, comment, après avoir été séparé du reste des vivants, une dragonne se retrouva parmi les hommes, se liant d'amitié à l'un d'entre eux… Et les événements sanglants que provoquèrent leur fuite.
La compteuse passa une main sur la ligne d'écailles dans son cou, soit disant vestige du lien entre la dragonne et l'humain...

-Conteuse… Votre Apprenti, il sait à quoi vous ressemblez sous vote manteau tout noir?

-Je n'ai pas d'Apprenti. Un Conteur… Un Conteur n'est pas désigné comme les autres. Un Conteur n'a pas d'Apprenti, il est l'Apprenti du monde. Il apprend à conter en écoutant son village, il se détache de sa vie par le Voyage. Un Conteur… Un conteur est formé par le Destin, et personne ne peut guider son chemin. Dit la vieillarde, le regard perdu dans le lointain.

Par la Mère, créatrice de toute chose, et le Fils, briseur de terres, que la tempête à venir lui semblait mauvaise ! Bien sur, personne ne le croyait. Après tout, que pouvait avoir de différent le sable de son sablier, à côté de tout les grains du désert ? Et surtout, surtout, il l'avait trouver dans les Ruines. Un lieu interdit, maudit, où les Ancêtres vénéraient de faux dieux. Mais il y avait tout de même été, n'y aillant pas cru… Et s'étant perdu. Le chemin vers le Canyon Sacré, à la frontière avec les plaines, étaient pourtant simple à trouver !
Le lézard s'assit sur le sol, ses écailles se fondant parfaitement dans le décor en contemplant l'horizon dorée. Le pire, c'était ce qu'il l'attendait si jamais on savait qu'il avait voler une Relique… Banni, exilé à vie. Il ferma les yeux, essayant d'ignorer la multitude d'images l'agressant, lui donnant mal à la tête. C'était comme si quelqu'un voulait manipulé son Lien, comme si depuis qu'il avait transgresser le règlement, il avait aussi en partie abandonner les siens. « Part », murmurait la voix dans son esprit. Il ne pouvait pas l'écouter… Il ne pouvait pas quitter le Désert. De l'autre côté du Canyon, il faisait froid… Mais le pire, c'était que les habitants de la forêt s'habituaient souvent sur les plaines, capturant les imprudents qu'on ne voyait jamais.

Il se redressa et siffla, appelant l'Oiseau-Sable. La créature géante, aux ailes démesurées, au beau pelage beige, se posa devant le fin reptile bipède, qui saisit les brides avant de l'enfourcher. Direction Oasis, la capitale d'Oasis. Oui, les noms n'étaient pas rechercher mais… La simplicité, se satisfaire de ce qu'on avait, survivre au jour le jour… C'étaient les dures lois du désert. Au moins possédaient-ils leurs montures, enfants du Serpent ayant chassé l'Hiver éternel, pour les protéger. C'était aussi pour cela, qu'ils ne pouvaient s'aventurer plus loin que le canyon : il s'agissait là du corps de leur protecteur, les cachant à la vue de celui qui avait tenté de les détruire, aider par la glace et la neige.

Les yeux fermer, à moitié endormi, la plupart de ses pouvoirs l'ayant abandonner, il continuait de façonner le temps. Replier sur lui comme dans un œuf, le dragon attendait dans sa prison de cristal. Sa mort ? Sa naissance ? Il ne savait plus. Les temps se confondaient. Mais il le sentait, ils approchaient. Il serra contre lui la boule de cristal dans lequel scintillait les mots qu'il avait scellés. Oui, les choses étaient en place. Il le savait... Enfin, il avait tout les engrenages. Les choses se mettaient en place...